mercredi 15 décembre 2010

A propos d’Elly, la mer et la fatalité

  


Un groupe d’amis très proches part en week-end. Le temps a relié leurs tendresses comme ciment soudant les pierres, scintillant de l’éclat joyeux du rire et des beaux yeux de Sepideh. Ils emmènent leurs enfants, et avec eux, Elly, que personne ne connaît. Elle, n’a que son sourire comme un masque sur sa vie et ses rêves en exil, inavoués.

Les femmes virevoltent de pièces en pièces, la vie s’organise, enchaîne les gestes connus, les rites, les chants et les jeux.. D’emblée, nous suivons Elly, en marge, presque hors-champ. Nous sommes elle, dans l’attente, avalant la poire de l’angoisse. Repliée sur elle-même, pièce rapportée dans un jeu dont elle ne connait pas les règles. Les plans rapprochés sont nombreux, caméra à l’épaule suivant les visages qui se scrutent, s’épient sans se voir vraiment, occupés qu’ils sont à la cérémonie, même les conditions de la détente sont rituelles. Il y a l’intensité des yeux de Sepideh, celle du visage d’Elly, traversé de pensées sombres.

Les règles semblent  établies à convenance. Ahmad, à peine divorcé doit rencontrer Elly. Un chemin tracé, comme une belle évidence, où cette jeune femme fragile, tient place d’objet dans le désir des autres. Tout en elle, néanmoins, parle de retenue. Corps et âme, elle refuse, elle doit juste partir.

"A propos d’Elly" nous conte, à perdre haleine, le récit vert de gris d’une tragédie, où nous sommes conviés en témoins muets de l’effroi grandissant. Nous avons ce statut étrange de médiateurs impuissants, de plein pied avec le malaise sournois qui s’insinue graduellement et ne nous lâche plus. Tout se déroule comme si le film ne pouvait jamais démarrer vraiment. On attend quelque chose et c’est ailleurs qu’on nous entraîne. Le désir butte contre un rempart solide, cette fatale évidence qu’on ne peut changer le sort, à plus forte raison lorsqu’il s’est retourné contre vous. 

Elly s’échappe s’isole, téléphone, sa gêne est croissante aux allusions du groupe qui joue un jeu appris, dans une légèreté et une absence de respect de l’autre, frisant la nausée. Considérant la chose comme entendue, ils s’en amusent. C’est le sujet du jour, brûlant les lèvres, qui ne pèse pas plus lourd qu’un tabloïd. 

Le fait est que le désir des uns, impérieux engloutit la volonté des autres, comme une mer déchaînée. Suffit-il de vouloir intensément le bonheur de quelqu’un, pour que le dessein s’y conforme? Et pourtant malgré une chappe de plombe, un libre-arbitre en déroute, subsiste le désir, tapi, capitonné, qui résiste avec les armes qu’il trouve. Nul ne peut empêcher l’esprit de rêver, et si le rêve veut être libre, il peut aussi enfermer. 

Sepideh vivante, mue par une force profonde, son désir au devant d’elle-même, est mise à nu, fragile. Elle donnerai tout pour voir se réaliser un bonheur auquel elle n’a pas goûté. "Tes désirs sont des ordres", mais le désordre est dévastateur. Pour ce désir profond Sepidey va nier les rêves secrets et les peurs d’Elly. Celle-ci cédera, sous la contrainte, face au mutisme obstiné de Sepidey. L’incommunication est totale, l’échange ne pourrait pas être moins ouvert, et le dialogue est inexistant.

Le rythme est rapide, physique, proche du balancement des corps, du bouleversement profond des âmes, entités en réveil, exacerbées. Les consciences luttent de toutes leurs forces pour se libérer du métal cerclé des carcans, et surnager. Littéralement emportées dans un tourbillon, renversant avec lui le rempart des convenances, des traditions et des coûtumes. Ces solides forteresses patriarcales avec leur cortèges de lois et de règles, peuvent perdre leur caractère d’abri et devenir geoles solides lors d’un avis de tempête. 

Sur une structure binaire et cadencée, un avant joyeux et étrange et un après, l’horizon au fil de la route, relie le sable, l’eau, la mer et le ciel, avec.... et sans Elly. Trois bulles temporelles s’entrechoquent, sans arriver à se croiser vraiment. Sepideh, omniprésente, créative, corps, conscience et âme en désir quand le reste du groupe est sur sa réserve, conscience apprise. Elly affronte, le corps en avant, l’âme douloureuse en repli et la conscience en berne. On voit la voit peu, mais elle est partout.

Arash, l’enfant emporté par les eaux bouillonnantes est la clef de voute symbolisant la réalité brutale, rattrapant et brisant le désir dans sa fuite en avant. Elly a disparu. Dès lors le temps s’accélère, déroule son lot de noires interrogations, se heurtant aux murs du mensonge que chacun a cru devoir ériger.

L’eau gronde entrant jusque dans la maison, troubler les derniers fondements restés debouts, et disloque la communauté. Devenue scène dépouillée pour le théâtre des vies en désaffection, presque vide, la maison se remplit d’un seul tenant. Aux chants, jeux, et rires, succèdent cris, palabres et colère. L’attente est martelée par le fracas de l’eau, froide et gluante, qui a finalement rassemblé les esprit.  Tout part en vrille. Soudain les gardes-fous ont disparu. La peur humide et noire sourd dans les paroles, accroissant l’angoisse, liquide et brûlante. Un plomb, épais et pesant s’infiltre dans les moindres replis. 

Elly est elle partie? Nous allons apprendre au fil des masques qui tombent, les raisons de son silence, de son mystère, sa vie. C’est là qu’un homme entre en scène, disant être le frère d’Elly.

Le bonheur aurait-il trouvé à s’incarner dans la compassion et l’empathie? Dans une joie simple que l’on s’invente, tenant lieu de liberté à défaut de pouvoir exercer son être en libre-penseur. Sepideh réalisera à son corps défendant, une fois de plus, une fois de trop, que l’on n’exprime pas son moi profond sans le payer chèrement. Et nous restons là, dans une folle espérance, cramponnés  au désir de savoir.. jusqu’où?

La vie est une maison vide que l’on remplit, d’attentes, de désir et d’espoirs fous, et l’on regarde à travers les vitres, filtres et tabous, s’ébattrent les rêves sans nous.

"Darbareye Elly" Asghar Farhadi 2009

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samedi 11 décembre 2010

Mood of my day



Brouillard intense et pénétrant, j'achève mon croissant en glissant, somnambule.  Je divague et digresse,  de linteaux en encorbellements, de tympans en voussures et de vices en vertus, les anges ont la peau dure. Un bonheur noctambule, rivé à mes paupières, poursuit sa vie chimérique en diurne sursis. Sur mes lèvres, un sourire niais sans doute, pourtant j’avance à reculons. Aveugle au matin qui s’installe et répand dans les rues sa fatale injonction. J'entend qu'on sifflote, ...le chariot des journaux. Me viennent des envies d’échanger mon sac trop plein contre sa tournée. D’un pas machinal, domestiqué, je routine au-delà du couvent.

La voilà finalement qui se dresse, jolie dame sur pilotis, sa majesté barrant le chemin. La brume en fine gouttelettes à dilué sa flèche, on dirait un vaisseau de guerre échoué. Je monte la marche, Saint Laurent m’accueille en son portail. J’empoigne l’anneau gelé et pousse le lourd vantail. Un froid étrange m’enveloppe. Il me vient des images de vieilles caves, retapées d’une valse de myrrhe doucereuse et de splendeurs d’orient. Exit les évocations de pomme de terre flétrie et d’ail pénétrant. Mon pas résonne sous la voûte. L’atmosphère du lieu, solennelle, emporte mes derniers doutes. Je jette un regard circulaire... personne. Juste un pigeon déglingué poussé par le froid entre une chaise de prière et les fonts baptismaux. Il grogne plus qu’il ne roucoule, de guingois sur sa seule patte valide.

 Quelques vestiges d’encens font des volutes dans les doigts de dieu que le vitrail colore. Je resterai bien ici. L’autel dans mon dos, tête inclinée, je me fonds dans la rosace, les couleurs papillottent et s’effacent. Comme dans une mise au point brutale, le vortex m’aspire. 

A moi, jardins, sentiers, collines! Je cours dans les chemins creux, dévale la pente, m’enfonce sous les arbres, et là, dans le bosquet, juste après la clairière.. le ruisseau enfin! J’ai laissé derrière moi la procession. De toute façon pourquoi les suivrai-je? Je ne comprends pas tout ça! Je n’aime de ce moment que les pétales de rose qui parfument le chemin.  Calicots de couleurs vives, bures de fêtes, écharpes mordorées ne sont qu’emplâtres sur un monde factice, et ils ne m’ont jamais donné la notice. J’entends qu’on m’appelle, je suis paralysée, mon coeur cogne si fort. Un pas rapide fend l’herbe. -"Te voilà! Décidément tu ne fais rien comme tout le monde!"- Il me prend par l’oreille et me traîne derrière lui.

A l’amande, je gratte la dalle de pierre, avec pour seul outil mes mains écorchées et un sac en plastique.. On dirait que des millions de pigeons se sont oubliés là juste pour l’occasion. Alors toujours rebelle? Midi! Sauvée par la cloche.. Plus qu’à espérer que ce soit enterré lundi. Rageuse, avant de déguerpir j’entre dans la sacristie, ouvre la porte de l’armoire séculaire. Ca sent la naphtaline, écoeurrée je recule. Et puis non! J’y suis j’y reste! J’aperçois le paquet : elles sont belles, rondes et régulières, d'un blanc ivoire, on dirait des jetons! Je pourrais m’en servir comme monnaie. Mon rire résonne, j’en sursaute et file avec mon larcin. J’aurai pu prendre la bouteille de vin mais à quoi bon, il en a une pleine cave. Je veux juste qu’il ne trouve plus ses précieuses rondelles pour l’office de demain. Un dimanche sans pain! Je me sens vengée des coups de règles à plat sur les paumes tendues, tenus secrets par peur du pire. Et plutôt deux fois qu’une!

Tandis qu’une onde chaude traverse encore mon coeur, un léger choc me sort de la rêverie. Je me réveille en chute libre. Contre un panneau de bois, un moineau s’agrippe à la vierge et l’enfant, dérappe dans la couleur, et s’envole comme un signal. Une escadrille de pigeons traverse la nef, instinctivement je baisse la tête. Mon sac me scie l’épaule, qui me rappelle qu’on m’attend. Mon carton à dessin sous le bras gauche ankylosé, je reprends ma traversée en direction du portail sud. Le soleil entre soudain, illuminant le jugement dernier. Charmant! Au fronton de l’horloge, astronomique présage, c’est l’heure de la mort qui apparait souriante et fière dans un bruit de roues dentées. Je frissonne, elle s’arrête.. me transperce de ses sombres orbites.

Dans un frottement sur la dalle, une paire de sandales apparait: -"Que faites-vous-là! Si ce n’est pas pour la messe allez-vous en!"- Je saute jusqu’à la porte opposée. Le battant claque magistralement. Pas de rayon vert pour aujourd’hui! Dans mon dos le même tribunal: -"l’église, droite, couronnée..., la synagogue les yeux bandés et le roi Salomon"-, et bla et bla.. Je suis sûre qu’ils rigolent comme tous les matins. M’empêcheront pas de revenir demain. De mes souvenirs kaleidoscope en ronde rituelle, je tire mes désirs électriques.

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vendredi 3 décembre 2010

Mood of my day



J’ai traversé une nuit de méduse, buée sur le carreau, sidérale, sidérée, à attendre le jour. Le temps qu’il fallait pour que le verre s’use, m’incruster, transparaître. Le temps qu’il faut pour que la rivière s'écoule et défasse le tourment.

Il est tard, il est tôt, mais je suis à la traîne, je glisse sur la dalle noire, me rattrape aux portières... attrape la selle, "presse-toi, tu pars bientôt!" Je me mange les trottoirs, ce sera mon jour demain. Une effluve de gauffre froide heurte mon nez, sucre gras, dégoût.  Les lampes de la brasserie s’allument, exhalent une vague odeur, il est bien tôt pour une choucroute.

Le sol est dur, le rêve est froid, la nuit s’attarde dans mon cou. Mais ta voix douce m’appelle, violoncelle. Tes petits velours m'étreignent sur un air de piano. Ta bouche plisse, la commissure espiègle et joyeuse.  Fleur bleue, le bonheur s'ébat au coin de tes lèvres. Que c'est bon.. 

Je pousse mes roues, passagère dégingandée. J'aspire la soie du jour qui s’infiltre. J’accélère, il est en gare, je sais, il est bien tard et n’attend pas que moi. Dérape, pédales en roue libre, rétablis l’équilibre. La route se change en lit. La tremble est moelleuse où s’allonger, lovée au chaud dans le silence, patiente. Les graines d’amour y germent toujours. Ressaisis-toi! Je vois enfin la devanture, de l’autre côté de l’eau. Où est le pont?

Une exquise senteur de cannelle poivrée sauve les relents de mauvais vin chaud. J'ai le coeur au bord des lèvres. -"Je t’attends!"- Une voix métallique fend l’air, débobine les destinations, mécanique, l’heure tourne... je prends par la grand’ place.

A l’écart des vitrines, là dans la coulisse, se réveille la vraie vie. Les mêmes mots délicats et cruels, offerts, embrassés, jetés au bout du fil. Tendu entre deux rives, l’amour est suspendu, et la tendresse immaculée..

Les gargouilles grimaçent moqueuses.. "Mais qu’est-ce que tu crois?"J’entends leurs rires qui mansardent en écho, s'entrechoquent et s'enfuient... Mais je distingue le chemin des bruyères qui fleurissent les fissures, là, entre leurs sourires enflés. Caricatures perdues.

La chanson me revient par bribes, les mots d’alors en pluie chaude embrasent le pavé. Connais-tu le refrain? Je me hisse lorelei sur le toit de l’immeuble, le coeur de pain d’épice, petite dame surplombant la ville. J’écoute si le vent porte nouvelle, midinette. Mais pas de dictionnaire. Je file, me pose.. t’attends -"Mais l’horizon est vide, fillette!"- Peu importe, je viens..

"Défense de stationner contre la porte cochère". Mon vélo cogne le bois de la devanture, la cloche tinte, bonjour! J’aimerai un «beau pain», ma langue a fourché, je glousse. Il me répond que ce n’est pas encore l’heure de la dinde! Je m’écarquille, souris encore, mi-figues-sucrées, mi-raisins-serrés, je repars les mains pleines. Votre monnaie? Demain! Là haut le carillon résonne, il est l'heure de foncer!

Dans la pellicule, un trou brûle. Les belles images fondent acides sur la dalle refroidie. Dans ces incandescences, papillons de lumière, j'entrevois un ailleurs. Un espoir de douceur dans la toile, un pan de légèreté dans le voile. Dans l’ouverture, dolce vita.. 

La route n'est plus si longue. Essoufflée, j’ai coincé les vitesses, bloqué la chaîne... Le scopitone déraille, je dessine un vol plané au dessus du vélo. Me releveras-tu? -"Dis, pourquoi tu rêves?"- Parce que j'aime.. Je vais marcher un point c’est tout! J’ai mal au ventre, mon coeur flambe à contre jour, dans l’or de tes cheveux au vent.. ne peux, ni ne veux l'empêcher, mon esprit est toujours en vadrouille. 

Moi je voulais juste un croissant, des baisers, un enfant.. Demain, on verra bien.. 

Arrêtée, tête renversée dans l’aurore. Est-ce là le genre de cathédrales que nos mémoires érigent? Le ciel de tes yeux, entre les lucioles clignotant sur fond de beffroi, répand un baume sur les peines minérales. 

Assise sur le muret de grès rose, je délire, l’aube avance, défait les ombres violettes, un jaune de Naples irise les verrières en haut des toits, je lèche le sucre sur mes doigts, suce les derniers raisins. J’ai balancé le fond du sac en papier à la volée. Affamés, peu farouches, des moineaux en nuées se font la marelle, les miettes dans le gosier. 

Non loin à la surface de l’eau, la vie flotte à demi-mots câlins, sereine, qui attend qu’on s’embarque. -"Je serai toujours douce amère. C'est le jeu."- Le ciel est clair. Le soleil frétille dans les rayons du vélo.

Pour voir ce qui retombe, j’ai vidé mes poches comme on lance les dés, il en est sorti deux papiers pliés, couverts de soupirs. N'oublies-pas.. Quand le désir est là, élance-toi, enlace-le! Serai-je toujours en débit? L’amour n’est pas donné, précieux. Mais il s'apprivoise doucement.. Le train est parti. D'autres arrivent et je les prendrai tous.

Là sous la mousse, le souvenir enterré fait des bosses en forme de petits bonheurs. Belle anémone y pousse.

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jeudi 25 novembre 2010

Eduardo Chillida, puissance et fragilité

Chillida- "Monument à la tolérance" 1992  -  "Eloge de l'eau" 1987
C’est l’histoire d’une découverte, de celles qui m'imprègnent encore aujourd'hui. J’allais cette année-là à la Kunsthale de Bâle. Un lieu où l’art foisonne couvrant une vaste période de la production artistique du xxème siècle, avec un fort penchant ultra contemporain. Nous avons croisé toutes sortes d’oeuvres gigantesques, des artistes très connus voisinant avec d’autres moins illustres,  une mine d’oeuvres in-quantifiable, noyées dans cette immensité de tôle, de verre et de béton.. Après nous être perdus dans le dédale des galeries, nous avons tourné en rond, et sommes revenus sur nos pas. J’avais l’impression d’avoir marché des jours et des heures. Je me souviens surtout que j’étais saturée d’images jusqu’au dégoût, que j’avais très chaud, et tellement mal aux pieds. J’envisageais d’ôter bottes et chaussettes, quand j’aperçus un siège. C’est là que je l’ai vu, dans cette petite enclave, hors du bruit... 

Une galerie présentait des dessins et gravures  de peintres, Miro, Picasso, Kandinsky. Mais il y avait surtout cette oeuvre singulière, qui  au milieu des autres, semblait minuscule. Je  n’ai aucun souvenir du cadre, c’est le contenu qui a saisi mon regard. Je me suis approchée et j’ai frémi.. Il y avait ces blancs, laiteux, ou d’ivoire, étonnamment tactiles. Ce noir, respiration profonde dévorant les yeux. Et puis ces papiers.. (il faut que je dise que j’en garde de pleins cartons, pour le plaisir de les toucher, les effleurer, tendre, les couvrir du regard, et de tous mes hommages, à l’embrasse du pinceau, en amour). Ils étaient là.. vibrant de leur belles natures, de grain épais ou plus fins, superposés de caresses en recouvrements, de glissements en déclarations, l’ombre exaltant la lumière. Cela semblait si simple et si complet et tellement essentiel. Fort et doux.

"Gravitacion" 1997
Ce qui m’avait frappée c’était l’apparence à la fois aérienne et solide, liée au dispositif, un agencement austère de papiers. Par endroits cette densité noire apparaissait, comme dessinée par de fines trouées, ajourant la surface, traçant des fenêtres, des chemins. Mais il y avait aussi ce contraste entre le blanc et le noir, matérialisant une forme flottant dans une substance blanche, fertile, dans laquelle elle semblait avoir pris naissance. L’ensemble avait cette dimension particulière, aux frontières du volume, par delà son léger relief. Une peau palpitant contre une autre, qui avec force, qui avec délicatesse. Un léger murmure contre un râle «profond et guttural», à la limite de disparaître, englouti. 

Chacune de ces entités me semblaient agir ensemble et séparément... Papiers déchirés  avec délicatesse, découpés d’un tracé simple, soupesé et choisi, la main ciselant la forme,  guidée par la pensée  jusqu’à obtenir le trajet entrevu... Et dans ce schéma, un espace, une respiration, une ombre légère conduisant à cette texture noire délicatement enserrée. Il me semblait lire une conversation intense entre une noirceur toute symbolique et une pureté synthétique. Un noir graphique et sa blanche jumelle renversée en écho. Un plein pour un vide, un gouffre pour un ciel.

Il y avait pour finir, cette simple ficelle, passée dans deux trous, à même le papier, présentant l’oeuvre suspendue légère. De l’ensemble j’entendais balbutier de la sculpture. J’ai songé à un travail préparatoire, comme préalable à la réalisation d’une oeuvre. Mais je sentais pourtant que cette proposition vivait pour elle-même comme une oeuvre à part entière. Un transport que cette simplicité, cette économie de matériaux, pour dire tant de choses, avec une telle force.

Quelques années plus tard, 3 jours dans Paris à courir les expos, les galeries, j’ai redécouvert Chillida au Jeu de Paume. C’était là l’oeuvre sculptée à l’échelle humaine, une confrontation de chair de pierre et de métal. C’était merveille.. Au delà de l’élégance et de la forte présence des pièces il y avait aussi, la puissance du discours, dans l’expressivité du matériau. Le signe minimal, d’acier, se frayant un chemin vers la voûte, par des détours détenant ce pouvoir qui aimante le regard, figé dans l’attente qu’on l’y pose, avant de reprendre son défi. C’était net, anguleux, doux, noir, rectangulaire, courbe, carré, régulier ou dénivelé, épais et puissant, élémentaire et élégant, tordu, chantourné, ouvert,  embrassant l’air dessinant l’espace, cheminant et évoluant à mesure qu’on changeait de point de vue. Une ambiance qui incitait à écouter autant qu’à regarder. J’en suis sortie silencieuse, des beautés noires et divines plein les rétines.

"Elogio del agua"
"Elogio del agua" - 1986















En repensant à ce petit assemblage de papier, je songeais qu’il y avait-là deux catégories de matériaux, d’aspects de masses et de natures si différentes, jusque dans leur manipulation, deux médiums, mis en oeuvre pourtant à des mêmes fins d’expression. Chaque matériau ayant son langage intrinsèque. L’artiste le choisit dans une optique de dialogue avec lui, mais aussi par affinité. Ainsi la nécessité de s’adapter à son propos, la curiosité, le goût de découvrir de nouvelles terminologies et modes d’expression afin d’en décupler les dimensions, et d’amplifier cette expression, conduit à faire des choix, amène à changer de langage, ou bien encore à en mêler plusieurs, passant de l’un à l’autre. 

Pourquoi de tels écarts pour nos yeux qui ne sont en fin de compte qu’un changement de vocabulaire et d’outils pour l’artiste. Peut-être que disant les facettes opposées d’une même chose,  il nous amènent à réduire cet écart qui existe, et à y lire comme lui l’essence de toutes choses. "Sentez-vous comme je capte et oriente votre regard, mais là aussi, et là encore...."

Chillida a fondé son langage dans l’écart existant entre les différents médiums, jouant des extrêmes comme des similitudes appréhendées, comprises et saisies au vol, nourries par la succession des schémas. Chaque médium a son importance, et celle-ci déjà qu’ils ne sauraient se passer les uns des autres, tant ils s’enrichissent de leur confrontation et de leur mutuels effets et présence à la perception, à l’expérimentation. Il dessinera et gravera de même, d’autres trajets, liant de nouvelles relations.

Et le métal de se charger de la fragilité du papier tandis que le papier intègre en lui la puissance de l’acier. Dans ces sculptures et petits assemblages de papier découpés, on peut lire l’alliance de deux pôles à priori contraires, dans une relation où ils se complètent, et se chargent de sens dans la réciprocité. Leurs natures complexes, s’en trouvent amplifiées et déterminées. Ils deviennent le paradigme du mouvement, de la conversation entre les éléments. C’est l’union plein et du vide, qui se résout à la sagesse pour atteindre l’équilibre. 

    
"Estudio del peine del Viento XIV" -1963
"Je suis plein, tu me creuses, tu me coupes, tu m’évides, mais c’est à l’espace que tu donnes forme et dessein. De mes bras  je le dessine,  je l’enserres l’embrasse, et le conserve en mon sein. Je suis sculpture en creux où le regarde s’enfile. Contre toi je me pose, tu disposes et me réponds". Chillida dose les vides, organise des passages entre la matière et l’air qui l’entoure. L’ouverture pratiquée signifie autant que la masse solide. Ce n’est plus un trou mais une forme. Ou comment sculpter l’air, la réserve, le vide autant que la matière.  Et l’inertie devient cinétique.

Ce n’est pas tordre ou contraindre le matériau à sa volonté, c’est le comprendre, s’y insérer et se l’approprier afin d’en faire un langage, une fois la logique du matériau absorbée, intégrée. 

Ce qui compte est le choix qu’il fait de ces affinités en vue d’exprimer des choses équivalentes et multiples, en faisant grandir le sujet sans jamais l’épuiser.  Ce qui naît s’organise dans des passages entre les matériaux, médiums et techniques, de glissements de sens, en retournement de natures. Le moment, l’espace, le matériau donnent naissance à l’oeuvre par hybridation tout au long sa conception, jusqu’à sa réalisation. Elle est une, et multiple, chargée de toutes celles qui l’ont nourrie, papier, encre, pierre, acier dans une jeu de d’échange et de  propagations de leurs essences. Prendre conscience de la complexité au coeur du processus permet de ne pas réduire l’ensemble du travail, et l’artiste qui le produit, en les rangeant dans une catégorie, sagement catalogués. Ceci démarre à l’aube des premières expérimentations.

Je me souviens d’avoir pensé que j’assistais à la formation d’une énigme organique, d’une vie secrète, celle de l’esprit concevant, poussant de l’intérieur comme une force centrifuge, vers des pôles excentriques. Renouvelée et renaissant encore à mesure que je tournais autour d’elle. La forme sculptée d’une pensée minérale, métallique.. qui cherche jusque dans son acception philosophique à s’arracher à la gravité pour s’élever vers le ciel. Toutes matières mêmes inertes se mettent un jour à vous parler, porteuses de tant de mémoires. "Nous ne sommes pas si inanimées que nous n’ayons pas d’âme.. Regarde comme nous dansons". Le catalogue pesait lourd mais plus encore, enchâssé dans mes doigts le goût du papier quand il se transforme..

Musée Chillida Leku

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vendredi 19 novembre 2010

Mood of my day




Le paysage défile, j'emporte un bout de la chambre avec moi. Penche-toi un peu, regarde, tu verras. Dos sur le lit, tête en bas, les moutons se détachent du matelas et s'attroupent au plancher. Dans la poussière, qui brillent, quelques billes oubliées, une vieille poupée sans tête, des lèvres rouges en coeur sur une feuille de papier.. je me retourne.

La chambre est renversée, c'est comme un carrousel. La grande roue par un jour de soleil. Plisse les yeux, tu passes de la couleur au noir et blanc, tu vois mieux? Alors, que reste-t-il? Les moustiques au plafond. Je lance une savate. Elle retombe sur mon nez. C'est un de ces jours où il vaut mieux ne pas bouger.

Pensée au sol, lévitation, je glisse entre les herbes, il y a trop de poussière et de terre dans mes yeux. Ankylosée je m'étire, le lit grince..  Je décolle..

L'esprit-dirigeable, je prends appui, le vent me fait des ailes, et l'oeil perçant... Dans l'épaisseur de la digue, les tracas minuscules disparus fossilisent. Goéland, je vire vaste, les souvenirs de tempêtes bouillonnent en fin d'écume, éclatent et fusent.. Je suis Nils Holgersson. Et j'ai faim!

Couchée dans ce champ, tu touches la voûte, tes pieds sont bleus, qu'attends-tu? La prochaine navette? La lune..! Et tremper mes jambes dans l'eau du ciel pour  jouer avec les méduses de coton.
Poumons à plein désir, suivre le vent qui couche les blés, l’horizon n’a qu’à bien se tenir, franchies sept lieues d'un coup!

Le temps s'étire élastique, je mange un bout de banquette, ma soeur me prête dent forte. Le nez dans la grotte en mousse, c'est l'heure de la découverte. Le froid de la structure nous appelle, explorer.. -"Non! mais c’est quoi ce trou! Donne leur un goûter avant qu’elles ne mangent le reste!"- Fous rires aux dents blanches, gâteaux de noêl en été et ....fessées. Pfff! Trop chaud, trop loin: -"c’est quand qu’on arriiiive???"- La 505 ronronne.. -"Demain!"- Le chocolat a fondu sur la lunette arrière....... -"Merci qui?"-

-"Pourquoi, le petit Jésus l'est pas dans la voiture!"- "Tu prends tes désirs pour des réalités?" - "Mais... qu'est-ce que ça veut dire?"- Déconfiture.. Il ne faut pas troubler l'image des enfants propres. Alors, dans leur étui de cuir, les sauterelles dessèchent, oubliées, reste la queue du lézard dans la boîte en plastique, le crabe a rétréci dans le fond du seau, à sec.. -"Tant pis, tant mieux"-

S’amusent et se télescopent, mes idées collées au plafond, ça s’embouteille. Ouvre la fenêtre, en-voiles-toi à nouveau.. Le volet claque dans le vent, mes oreilles bourdonnent. J'entends le chant de la tuile à loup. J'ai décroché un morceau d'éther, sauvé le paysage, gravé les mots sur ma tablette interne, et rangé mon enfant-image avec mille mots pas sages. 

Un fumet profond et goûteux s'enfile dans mes narines.. Je referme la porte sur la malle du grenier, c'est l'heure de manger..

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mercredi 17 novembre 2010

Lʼart, inutile et nécessaire 2, élément de comparaison: Le design

Ettore Sottsass - Michael Samuels
Je reviens à ce qui me tient. Tourner autour du propos, "l'art est nécessaire à défaut d'être utile". Définir est souvent vain, tant les opinions et perceptions divergent, mais tenter d'approcher sans à-priori est possible, et enrichissant. Je sais qu'il n'est pas toujours efficace, et c'est même illusoire parfois, que de vouloir établir des comparaisons. Mais il me semble qu'on peut donner une autre acception au terme, en le nommant vis-à-vis. J'ai toujours pensé qu'on comprenait une chose parce qu'il existe dans un cadre contigu, une forme qui diffère ou s'y oppose. Comment percevoir qu'il fait froid, si la froidure est la norme, ce n'est que parce qu'il fait chaud aussi qu'on établit une différence. De la  même façon, toutes les couleurs prennent leur valeur et leur sens dans les rapport qui existent entre elles.

Aussi pour expliquer mon rapport à l'art et la perception que j'en ai, je choisis de le comparer au design. Ils se sont singulièrement rapprochés ces derniers temps dans les formes qu'ils adoptent, brouillant les pistes, rendant notre perception plus complexe, et modifiant nos relations. D'ailleurs on lit souvent "Art et design" aux frontispices des grandes écoles, des musées, ou des expositions. De quoi est faite cette nature qui les démarque? La question peut se poser concrètement en des termes simples: "à quoi servent-ils?" En matière de design: regardez l'objet, sa fonction est la réponse. On en revient à l'inutilité de l'art. C'est une question que l'on entend fréquemment à son sujet, et je ne crois pas l'avoir entendue formulée ainsi à propos du design.

Et cette autre question: qu'est-ce que ça représente? En art, elle est rengaine, fatale, même si elle ne trouve pas toujours de réponse, et vous ne l'entendrez jamais à propos du design. Pourquoi? L'objet du design prend la forme, de la fonction à laquelle il se destine. Quoi que les formes aient évolué, dans la plupart des cas, vous saurez toujours reconnaître un grille-pain, un réfrigérateur ou une brosse à dent. Formes et fonctions entremêlés deviennent idéogramme. Le design concrétise une idée de l'ordre du concept. Celle-ci, doit tenir compte de contraintes extérieures, et d'un contexte.  On parle d'ailleurs de cette discipline comme d'un "art appliqué". Et on considère, s'il n'est pas inscrit dans le champ des arts-plastiques qu'il l'est dans celui des beaux-arts. Voilà qui complique encore l'analyse.

Le design tente de concevoir et réaliser des objets qui sont destiné à remplir une fonction. Il y a de nombreux courants et opinions. Mais en somme, il va tenter de penser la forme d'un objet, en partant de l'idée de sa nécessaire fonction, tout en faisant en sorte que forme et fonction soient en cohésion, et que de l'harmonie entre elles, se dégage une esthétique. C'est l'idée qui prime.

Vient ensuite la question des matériaux, du coût, de la rentabilité qui amènent fatalement aux notions de duplication et de production en série, qui doit faire face à une demande, suscitée par un besoin.... Le design a donc une forme de responsabilité sociale, il est une entreprise contextuelle qui tente de résoudre des problèmes posées à un certain nombre. Il est clairement une réponse, à ce besoin. Et il travaille en équipe, à sa conception. Quand à sa réalisation elle fait entrer le design dans le champ de l'industrie.

Rien de tout cela en art, celui-ci n'a aucun espèce de responsabilité, ou alors morale, et là les frontières sont floues. De l'art on dira, j'aime ou je n'aime pas. Ou encore je ne comprends rien. L'artiste, qui travaille seul... à sa démarche (Certains artistes fort connus ont depuis contredit le propos) ne réfère qu'a sa propre nécessité. Il n'est pas important, à priori de savoir ce qu'en pensent les gens, le monde. Ce qui compte c'est de se poursuivre, de continuer à s'exprimer, sur le plan des émotions ou des idées, en affinité avec un médium.... donnant forme cohérente à une quête. Celle-ci s'exprime dans des oeuvres uniques. L'art n'est donc pas une réponse mais un questionnement.

Là où le design doit satisfaire à des exigences d'efficacité des coûts, de fonctionnalité et d'optimisation de la matière, l'art s'en affranchit. Le design est donc utile. Devons nous pour autant, considérant qu'il a sa place dans nos sociétés, penser l'art comme futile? L'artiste s'expose à vous, il prend les risques, de déplaire, d'être raillé, méprisé ou jalousé, mis au rencard des priorités. Il part d'une nécessité, mais c'est un acte de courage aussi. Parce que c'est avec sa part intime qu'il travaille et affronte le monde. Cette même part intime que la plupart d'entre-nous refoulent, pour rentrer dans le moule. Agissant ainsi l'artiste touche à nos sens et notre perception, nos sentiments et nos émotions, notre intimité, nos propres questionnements. Et si on considère l'art au dernier rang des obligations et nécessités, on sait tous pertinemment son importance, en ce qu'il est la trace de notre histoire intime, culturelle et humaine, de notre nature profonde, celle qui travaille en souterrain depuis toujours. Nous vivons donc avec l'art une relation complexe de filiation. Et celui-ci exerce tout haut celle filiation, quand nous la maintenons dans le secret et l'oubli.

Au delà-du consumérisme que nos sociétés ont encouragé, faisant de l'homme un être programmé, un mouton... il reste ces artistes qui créent leur vie, décidant que ce qui compte c'est d'exprimer leur part d'humanité.

ARTICLE: "Le design qu'est-ce que c'est?"

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samedi 13 novembre 2010

Mood of my day



Couchée sous l'arbre, collée dans l'herbe humide, les pieds relevés contre le tronc, je me déplie. La terre est encore chaude. Les feuilles crissent. Les couleurs de l'automne ont mangé mes yeux. Les ai planté au ciel, pour capter les restants de soleil.. Les frondaisons gémissent, découpant des pans de bleus, morceaux d'éther. Les grands poissons blancs fendent l'aquarium et font des taches au sol... Les ombres de l'instant, se rapprochent, grandissent et puis détalent lestement.

Tiens, un hippocampe.. un requin, et ça ce n'est pas un croissant de lune? Soudain ton visage, profil fin et terrestre, apparaît dans les bords déchirés. Allez viens... une dernière fois...

La terre touche le ciel. Mes doigts sont gourds. Le vent traverse mon gilet, s'engouffre sous ma peau. L'hiver qui vient. Il est temps que je parte. "Attends encore un peu!"

Mes pensées s'escamotent, magiciennes. Ma tête de cristal est vide, enfin. Il n'y a plus qu'à entendre et à voir, mes billes s'affolent au monde qui tremble dans le vent, se posent sur l'écorce. Les mots d'avant, gravés, idéogramme, pas d'oubli. La route est loin, l'air est libre, je sens mon couteau dans ma poche. Irai-je biffer la cicatrice? 

Blesse tendresse.. Lasse, je laisse ses traces à reculons, ma peine est gravée dans mon crâne. J'aurai  voulu... Plus tard, après moi, je sais qu'elles seront encore là. 

La tête renversée sur la racine exsangue, que l'herbe adoucit, je construit un dernier château dans le ciel..
Me relève et m'étire endolorie. Le vent me frappe. Je m'agenouille dans les herbes pour détacher une fleur d'ortie, et goutte les yeux fermés le sucre qui s'écoule, du pédoncule blessé.. 

Il est temps que je parte, comment me détacher. Au sol un cercle de cailloux. Je dégomme le tout, amère.
J'avale mes regrets, j'efface mes larmes du plat de ma semelle, enfourche mon vélo. 

Il est temps que je parte, la vie m'attend. Retrouverai-je le chemin de la ville? Le ciel me fait un dôme... Pour une seconde, je me sens élue. Le rouge aux joues,  je ramène le vert au gris, et le feu qui court les campagnes me suit. La ville entre en ma chair comme l'âme métallique. Muette, sans un cri. Mes mots sont restés en arrière, plantés dans le tronc. Semence des jours à cueillir. Une dernière pensée saigne au bord de mes yeux.

Je sais que demain, une fois encore, je me battrai en duel avec ma fin de nuit.

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vendredi 12 novembre 2010

L'amour de l'art, ou la nature de la perception.

Mimmo Paladino- Clair de lune, 2008/2009
Technique mixte sur toile. 200 x 300 cm

Je me demande souvent pourquoi une oeuvre happe soudainement et totalement mon regard. Mes émotions le suivent de près et mon esprit n'est jamais loin qui survient à essayer de comprendre. Non le sens de l'oeuvre, mais pourquoi je suis là, vibrant, ébahie, ou tombée par terre, avec le sentiment que je me trouve face à un langage qui semble universel. 

Il y a que je suis dans le désir soudain. Et j'ai la sensation qu'au travers de l'oeuvre, l'artiste est parvenu à se hisser loin au dessus des lieux communs, jusqu'à se trouver, puis s'effacer et laisser parler son ouvrage, qui vit seul, hors de lui, dans le regard que nous lui portons, combinant une multiplicités de perceptions et de points de vue. Lui même ne peut plus parvenir à en saisir, qui lui échapperont toujours, les myriades de sens et d'acceptions qui ramifient. Mais le veut-il seulement? 

C'est ce qui fait, que je continue d'être là, désirante, les sens en appétit, l'esprit aiguisé et le coeur en chamade. Il y a quelque chose de l'ordre du sensible, mais je sais aussi que mon attirance tient à cet au-delà des apparences visibles, dans ce qui n'est pas dit, restant énigmatique. Comme une question posée. Et j'aime les questions, les poser c'est être toujours en vie.

L'oeuvre est une étape, et quoi qu'il décide d'en arrêter un jour le traitement, elle sera toujours incomplète et l'artiste le sait. Que cherche-il? Nous offrant son ouvrage, tente-t-il de se relier à nous? Nous unissant par là, et nous laissant reconstruire son oeuvre, nourrissant son propos.. Je crois qu'un artiste atteint la plénitude de son but, un instant, lorsque les spectateurs accèdent, en des temps et des lieux divers, à cet espace où le regard, la perception et l'esprit travaillent de concert, ouverts, prêts à recevoir et follement amoureux. Parce qu'entre l'oeuvre est le spectateur il est question d'amour aussi, et du désir qui le nourrit.
Mais l'artiste n'attends peut-être pas tout cela. Il sait qu'une fois l'oeuvre produite, elle lui échappe. Il est juste désirant, lui aussi.

Je sais que nous regardons et considérons l'art, ou non, au travers de nos propres filtres, culture, nature, éducation.... et ils sont si différents. Cela ne doit pas nous empêcher de prendre position. Ayant des amis artistes je sais aussi combien certains se fichent éperdument de savoir ce que l'on pensera de leur démarche, voire même du résultat. Alors j'ai souvent posé LA question, pourquoi créés-tu? La réponse qu'on m'a donnée: "je ne peux pas faire autrement".

Je crois que c'est ce que je ressens face à l'oeuvre, qui me désarçonne la perception et me porte aux nues, cette nécessité intérieure impérieuse, dont l'oeuvre est l'incarnation, et ce sentiment de communion, avec ce que l'art a de sacré, à savoir le pouvoir de création et de recommencement, dont nous pouvons nous saisir, et par lequel nous pouvons nous sentir vivants.



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dimanche 7 novembre 2010

Mood of my day



Fluides et sombres hybrides toujours tranchants au coeur, troublant hommage. Le coeur de tristesse saisi, les yeux qui cherchent, focale distante de mise, éprise cependant. Où l’on ne va plus, d’où l’on ne revient pas. 

Mais la voix de Lisa nous enserre en son fil, gravité suspendue tourmentée, essentielle et fragile, drap de mélancolie. 

-"Toi, beauté qui me porte depuis toujours, ma tendresse à l’écran, l’amour en moi qui me dévore encore, garde mon secret: l’absence à mon regard est brulûre à mon coeur.. "-

-"Non, tu n’y es plus, mais tu le sais, tu es partout"-... 
Dans les pans de ciel, l’ombre des herbes qui s’allongent sous le soleil rasant, l’éclat de lumière qui me happe, dans le froid de la nuit qui vient, je te cherche, tu tempêtes et vitupères, la douceur de ta voix soudain, tes yeux qui me percent, je dégringole, nos pas claquant sur le pavé, le frôlement de ton épaule, un ailleurs infini, cruel et doux. "-

L’enfant d’alors, cotoîe notre âme nouvelle. -"Reste s’il te plaît, toi, guetteur de temps, vive sentinelle, gardien des tendresses passées. Songe à l'ange de dentelles et de couettes défaites, et au diable rieur, cheveux au vent, toi qu’on adorait, petite reine des dunes, et toi qui était si seul, elfe espiègle et frondeur"- .. 

Regard mobile, plein de désir... -"Où sont mes bonheurs et mes joies endormis? Et toi dis-moi où tu ères!"-  Ma stupeur imprimée dans les chairs, lacère, déchirée. -"Ame douce en miroir, mon enfant qui sait, chante, parle moi encore. Car si la saveur m’est tendre et l’humeur d’amertume, le frisson m’est d’amour et d’oubli."-

Qu’importe, l’élégance du souvenir me guidera encore. -"Et puis c’est toi l’oiseau maintenant"-.

Tu flottes le ventre en vrille emplit de cette voix en volutes aux confins du sacré, et revois l’horizon des émotions anciennes, les douces, les oubliées, les désirées, les craintes, les passionnées, les détestées, les tant aimées..

-"Je voulais mettre encore mes pas dans les tiens, bonheur chaud sous les pieds, revivre l’offrande en cailloux, traces de dunes et colliers d’herbes tressées. C’est vrai, j’avais troué ma robe en dentelle sur les grands chardons bleus, ..blessé mes pieds sur les couteaux et les bois flottés. Et tu étais là, à me panser.... pincer la chair tendre et rosée. Je veux boire encore l’eau fraîche dans le creux de tes mains.»-

Mon ombre, l’eau des regrets et des pleurs, reflètent tes rires en étincelles. Mais j’aperçois tes yeux qui soleillent. 

"Tu as encore taché ta robe dans les fleurs! "

Ma peur tapie, je pleure.. et puis souris.

Où le langage a déserté, vivent encore les ombres des enfants... Là l’oeil existe à l’état d’amour, sauvage et vivant. 


"La vie est belle à proportion qu’elle est féroce." 
Sainte Colombe à Marin Marais - Tous les matins du monde, Pascal Quignard



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vendredi 5 novembre 2010

L'art, inutile et nécessaire? Vous prendrez bien un soupçon de beauté...

Alejandro Diaz - Naked Artist Inside - 2008, néon
On associe souvent l’art à la beauté, mais également au luxe, ou peut-être à l’idée qu’on s’en fait.
L’art est en bonne place des utopies qui n’ont aucune priorités dans le panier de la ménagère. Néanmoins j’entends souvent dire que si l’art n’est pas utile, il doit au moins être beau... (sic) 

Qu’est ce qui est beau, sinon ce qui est pourvu de beauté? Mais la beauté, comment la définir? Selon quels critères? Est-ce seulement une affaire de goût, ce qui lui donnerait un statut très relatif? N’y a-t-il pas en art quelque chose de plus universel et qui nous relie tous? Est-ce donc cette chose mystérieuse que seule l’âme intime et détachée peut «concevoir, reconnaître» (Mme de Staël) à défaut de l’imaginer? Un peu comme le souvenir que l’on aurait toujours eu d’un ciel lumineux et sans nuages.. On rattache visiblement à l’art une nécessaire valeur esthétique. De lui, nous attendons la beauté, car elle serait l’universelle croyance d’une «promesse de bonheur» (Stendhal). Nous voudrions donc la beauté, en ce qu’elle nous aide à vivre, et l’art serait un des moyens d’y accéder? Ainsi, inutile mais nécessaire, nous voyons en l’art, le moyen de traduire et d’atteindre à un idéal de beauté... 

L’idéal, notion dont il est bon de préciser qu’il n’a d’existence qu’intellectuelle, étant par définition dérivé de l’idée. Ce qui fait qu’il ne peut être perçu par les sens... Voilà bien une chose étrange que de vouloir l’idée si impalpable de la beauté, en ce qu’elle touche à un absolu, et cela pour éclairer nos vies si matérielles! Non? Mais est-ce tellement illogique?

Nous allons irrémédiablement d’un point à un autre, nous connaissons l’issue ultime, cela nous conduit à «remplir» nos vies matérielles intensément avant qu’elle advienne... ou pas. Comment «remplissez-vous» vos vies? 

Il y a une solution dans l’horizontalité linéaire de son déroulement qui résonne pour moi, comme une suite d’accumulations, du dépit, de l’amertume et du désenchantement. Mais tout est affaire de point de vue, n’est ce pas? Je continue pourtant à dire que si l’on songe, peut-être, à prendre un peu de hauteur, le point de vue change sensiblement. Dans cette verticalité, s’étagent le temps, la durée, l’expérience de chaque moment, à vivre intensément, alors l’issue, si elle n’en est pas moins proche, en devient peut-être moins cruelle à notre perception et à notre entendement. 

Et si l’art ainsi qu’en cultiver la manière dispensaient l’élan nécessaire à grimper à l’échelle, pour un large horizon, et un certain degré de verticalité? Et si nous ne sommes pas rigides à tous changements nous pourrions bien devenir «sages» ainsi debout dans l’air frais... Je souris, je n’ai pas envie d’être sage. Et loin de ces obsessions cliniques qui conduisent à faire ressembler sa vie à un catalogue Habitat... Ikéa, le choix est vaste.. «parce qu’il faut que tout soit beau»,  je ressens l’art comme nécessaire à ma vie. L’art est création et on peut vivre sa vie en la créant de même, en haut de l’échelle. Si la beauté existe c’est peut-être à cet endroit qu’elle peut naître. Cela n’empêche pas d’être critique, au contraire. Je sais juste que, quoi qu’on en pense, l’art fait partie de nos vies, il nous traverse tous.. et ce depuis fort longtemps. Monterez-vous à l’échelle?

A suivre...

"Nous sommes des anges déchus qui nous acharnons à remonter vers notre céleste origine." Christian Charrière
"L'art, c'est le plus court chemin de l'homme à l'homme." André Malraux
"L'art et rien que l'art, nous avons l'art pour ne point mourir de la vérité." Friedrich Nietzsche
"La beauté déteste les idées. Elle se suffit à elle-même. Une œuvre est belle comme quelqu'un est beau. Cette beauté dont je parle ... provoque une érection de l'âme. Une érection ne se discute pas ... Notre époque se dessèche à force de parlotes et d'idées." Jean Cocteau
"L'homme fait à tous les instants des déclarations définitives sur la vie, l'homme et l'art, et ne sait pas plus que le champignon ce qu'est la vie, l'homme et l'art." Jean Hans Arp






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vendredi 29 octobre 2010

Mood of my day



Je fonds à cette volupté, fluide à mes oreilles et à cette élégance, étreinte à mes yeux.. me laisse envoûter par ce charme étrange et graphique, à la raideur guindée des vieux ballets nautiques, où la chorégraphie compte chacun de ses gestes.
Le mélange singulier, rappelle ces échos futuristes aux tensions électroniques, habillés de couleurs diaprées, rythmant encore notre mémoire proche, dans ces tableaux dansés comme échappés de fêtes désuètes.

Le décalage enjoleur nous enlace et nous entraîne ailleurs. Nous sommes alors, spectateurs discrets, glissant légers, le long des villes graphiques de Schuitten et Peters. Et nous lorgnons par des verrières dérobées, des théâtres impromtus sous le signe de ballets-glamours, où le nautisme n’est plus qu'un prétexte. 

Nous sommes peut-être encore, muets témoins d’un musical interlude, dans une métropolis surnaturelle changée pour l’occasion en cabaret-piscine, réplique mélancolique sous globe d’une vie révolue, dévidant comme une boîte à musique, une ronde sans fin. Un rêve né dans les fantasmagories de Moholy-Nagy.

On imagine sans peine ces baigneuses surannées, semblant de porcelaine, resurgies des fifties pour la cérémonie, troquer leurs maillots démodés, pour une armure ajourée, façon Daft-Punk... Avec en plus une touche sexy et ce brin de coquinerie qu’on lit à leurs yeux rieurs. Voyez ces sourires pétillants qui défilent, séducteurs, accrochés à ces notes célestes et profondes, sur un rythme qui vous laboure le coeur doucement...

De la beauté de cette grâce ancienne, j’aime l’éloquence nouvelle. Les voir en tendres épousailles, empreintes d’humour et de poésie, ballets tranquilles, élégants et précis, lents et hypnotiques.. sur une musique qui s’écoule, aux exaltations de mon coeur, se répand et ruisselle.... Un bijou ciselé fascinant qui plonge dans état serein. Que cette chaleur liquide me fait l'oreille gourmande et l'oeil encore plus ébahi. Elle vous tend les bras, ..  qu'elle vous soit un délice.

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jeudi 21 octobre 2010

Pour Mémoire, traces: Abel Ferrara

















©Brad Stevens Abel Ferrara: la vision morale
FAB Press, Godalming, Surrey, Royaume-Uni, 2004



"La violence, c'est quand même terriblement graphique. Il y a dedans une énergie cinégénique incroyable. On entre dans le domaine de la métaphore, du symbole" Abel Ferrara 


Ce qui m'attire chez Ferrara c'est autant l'esthétique, d'une grande sobriété, que la narration, faite de la chair même des personnages, comme de celle des acteurs, mises au service d'un contenu qui a toujours du corps, et dont le propos et la puissance nous transpercent.

Il s'agit de cette capacité qu'il a de nous faire sentir l'humanité de ses personnages, et par la même de nous rendre la nôtre, parce qu'en suivant des pans de leurs existences, nous percevons à quels point nous sommes semblables dans nos quêtes et  nous prenons soudain conscience de nous-même, autrement.  Les préoccupations toutes en errances de ces individualités, peuvent nous toucher, car elles sont aussi les nôtres, peut-être bien au-delà de ce que nous voyons ou croyons voir.

Oui, il y a ce que nous ressentons et que nous enfouissons profondément, parce nous ne désirons pas nous en souvenir. Ferrara nous amène brutalement à y replonger et à nous rendre compte qu'au delà de notre petitesse d'êtres si seuls, il y a une certaine noblesse à être dans ce monde, en relation avec d'autres êtres tout aussi seuls que nous. Est-ce donc là la nature de ce qui nous relie?

Et c'est par cette plongée au coeur du réel et plus loin encore au coeur de l'intime, que le réalisateur dépeint la vision de ces ailleurs qui nous enveloppent et nous rassemblent, ainsi que la nature de toutes ces choses qui s'érigent entre nous, telles que le manque, la dépendance, l'addiction, la violence... mais n'est-ce pas nous qui les créons?  Et nous les montrant, il nous offre de nous en saisir, ou pas. Nous avons le choix.

ARTICLE: "Abel Ferrara et les figures du mal" Dominique Vergnes

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Pour mémoire, traces: Cy Twombly

Cy Tombly dans son Atelier ©Editions Assouline

"Peindre implique un état de crise, ou du moins le moment crucial de la sensation" Cy Twombly. 1957.

Le peintre parle là, de sentir et non pas de voir , ou alors il s'agit bien d'un au-delà de la vision, dont il s'affranchit, donc de ce qui la précède ou ce qui lui succède, et de comment on traduit cet "état de crise" où survient "la sentation", l'offrant enfin, à la vision.


"(...) le "gauche" (ou le gaucher) est une sorte d'aveugle: il ne voit pas bien la direction, la portée de ses gestes ; sa main seule le guide, le désir de sa main, non son aptitude instrumentale; l'oeil c'est la raison, l'évidence, l'empirisme, la vraisemblance, tout ce qui sert à contrôler, à coordonner, à imiter, et comme art exclusif de la vision, toute notre peinture passée s'est trouvée assujettie à une rationalité répressive. D'une certaine façon, Twombly libère la peinture de la vision, car le "gauche", (le "gaucher") défait le lien de la main et de l'oeil, il dessine sans lumière.. (...) " Roland Barthes extrait de "Cy Twombly ou Non multa sed multum" in "L'obvie et l'obtus, Essais critiques III" cité par Leeman

SITE WEB: http://www.cytwombly.info/ Une large et belle iconographie.

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mercredi 20 octobre 2010

L'oeuvre d'art ne vaut-elle qu'en elle-même?: Du jugement au discernement. 1


























Marcel EICHNER "8 x Elmer" 2010
gouache, acrylique et encre sur toile
170 x 140 cm



Au-delà de ce que montre une oeuvre d'art, ou de ce qu'elle ne montre pas, il y a en elle, et à travers elle, ce qui définit l'artiste dans son rapport au monde. Ainsi si nous envisageons l'oeuvre comme élément d'une démarche, partie d'un tout, nous pouvons l'appréhender dès lors qu'elle est fixée, comme un temps de la quête prenant visage, comme une expression autant incomplète et liminaire qu'incisive et universelle.


La trace visuelle profonde et intime d'une tentative de dialogue de l'artiste avec lui-même, questionnant cette nécessité créative, mais aussi sa compréhension du monde jusqu'à la place qu'il y tient. Au-delà de l'oeuvre que nous tentons de lire, il y a cette voix qui surgit, sens ouverts, qui nous entretient de ses mystères et lorsque l'on croit avoir épuisé les signes, flottent encore les bribes ciselées d'une singulière formule dont l'absolu reste à jamais inconnu.. Mais croit-on avoir compris qu'aussitôt, comme si souvent, le sentiment s'efface... Reste le goût de la question...

On ne peut prétendre saisir une oeuvre dans le sens que l'artiste porte en elle, comme dans son expression intrinsèque, ou la vision qu'elle provoque, sans la resituer dans une vie de création, ses contextes multiples à infinis, la démarche d'une vie entière.

Vouloir envisager l'oeuvre dans sa globalité serait peut-être, pourtant, déjà une erreur. Car nous omettrions, présomptueux, toute cette part encore en suspension, circulant dans l'éther, libre de combinaisons, structure ouverte reliée au cosmos, substance en gestation attendant de s'incarner, naître à notre vue enfin...

Nous nous priverions de découvrir peut-être la vision de l'artiste dans sa vraie nature, tendue dans la volonté de saisir et d'exprimer au plus près ce que lui dictent sa pensée, sa mémoire, ce cheminement vers le sens qui s'est à un moment imposé, flamboyant... une vision à instant seulement. Comme une clairvoyance en mouvement virevoltant au gré d'un sens qui s'ébruite, s'effrite, parvient encore pourtant dans la tempête que le processus à généré, à saisir quelques parcelles, à retrouver le fil de la piste brouillée, une couleur, une épaisseur, une tonalité, une scansion noire et charbonneuse, une texture, l'ébauche d'un volume...

.. la réminiscence que les yeux ont touché, cette évidence avant qu'elle ne s'enfuie.

Je songe à Christian Boltanski, tant décrié avec sa dernière oeuvre: "Personnes" montée pour "Monumenta" 2010. Une surmédiatisation momentanée qui a tout compte fait réduit cet artiste à cette seule oeuvre, comme s'il n'en avait produit aucune autre, oblitérant tout le processus créateur qui l'y a conduit. Cet homme de 66 ans, évolue pourtant dans une démarche artistique depuis l'âge de 13 ans.

Je pense encore à Salvador Dali qui avant de devenir le surréaliste que nous connaissons, a fait moultes incursions dans les divers courants ayant surgi au moment de sa formation. Pourquoi ne pas évoquer alors la période cubiste de Duchamp? Souvenez-vous également de Picasso, qui amoureux à nouveau, pouvait se remettre à peindre de façon figurative après avoir intensément digressé en tous médiums, dans cet entre-deux avant l'abstraction.

Je me souviens également des installations de Sarkis, dont certaines m'avaient fait sourire, - il y avait de l'humour mais je n'y voyais que de l'esbroufe -, acquérant avec le temps toujours plus d'élégance. Je veux encore citer Vincent Bioulès qui initiera le groupe Supports-Surfaces avant d'en revenir à dépeindre une certaine mémoire du temps par l'exploration du paysage.

Oui il est bon lorsque l'on ouvre une porte sur une forme d'inconnu d'aller à sa découverte au lieu de se contenter de rester sur le seuil, d'en examiner les signes extérieurs, revenant à en faire un ersatz vide de sens.


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