vendredi 3 décembre 2010

Mood of my day



J’ai traversé une nuit de méduse, buée sur le carreau, sidérale, sidérée, à attendre le jour. Le temps qu’il fallait pour que le verre s’use, m’incruster, transparaître. Le temps qu’il faut pour que la rivière s'écoule et défasse le tourment.

Il est tard, il est tôt, mais je suis à la traîne, je glisse sur la dalle noire, me rattrape aux portières... attrape la selle, "presse-toi, tu pars bientôt!" Je me mange les trottoirs, ce sera mon jour demain. Une effluve de gauffre froide heurte mon nez, sucre gras, dégoût.  Les lampes de la brasserie s’allument, exhalent une vague odeur, il est bien tôt pour une choucroute.

Le sol est dur, le rêve est froid, la nuit s’attarde dans mon cou. Mais ta voix douce m’appelle, violoncelle. Tes petits velours m'étreignent sur un air de piano. Ta bouche plisse, la commissure espiègle et joyeuse.  Fleur bleue, le bonheur s'ébat au coin de tes lèvres. Que c'est bon.. 

Je pousse mes roues, passagère dégingandée. J'aspire la soie du jour qui s’infiltre. J’accélère, il est en gare, je sais, il est bien tard et n’attend pas que moi. Dérape, pédales en roue libre, rétablis l’équilibre. La route se change en lit. La tremble est moelleuse où s’allonger, lovée au chaud dans le silence, patiente. Les graines d’amour y germent toujours. Ressaisis-toi! Je vois enfin la devanture, de l’autre côté de l’eau. Où est le pont?

Une exquise senteur de cannelle poivrée sauve les relents de mauvais vin chaud. J'ai le coeur au bord des lèvres. -"Je t’attends!"- Une voix métallique fend l’air, débobine les destinations, mécanique, l’heure tourne... je prends par la grand’ place.

A l’écart des vitrines, là dans la coulisse, se réveille la vraie vie. Les mêmes mots délicats et cruels, offerts, embrassés, jetés au bout du fil. Tendu entre deux rives, l’amour est suspendu, et la tendresse immaculée..

Les gargouilles grimaçent moqueuses.. "Mais qu’est-ce que tu crois?"J’entends leurs rires qui mansardent en écho, s'entrechoquent et s'enfuient... Mais je distingue le chemin des bruyères qui fleurissent les fissures, là, entre leurs sourires enflés. Caricatures perdues.

La chanson me revient par bribes, les mots d’alors en pluie chaude embrasent le pavé. Connais-tu le refrain? Je me hisse lorelei sur le toit de l’immeuble, le coeur de pain d’épice, petite dame surplombant la ville. J’écoute si le vent porte nouvelle, midinette. Mais pas de dictionnaire. Je file, me pose.. t’attends -"Mais l’horizon est vide, fillette!"- Peu importe, je viens..

"Défense de stationner contre la porte cochère". Mon vélo cogne le bois de la devanture, la cloche tinte, bonjour! J’aimerai un «beau pain», ma langue a fourché, je glousse. Il me répond que ce n’est pas encore l’heure de la dinde! Je m’écarquille, souris encore, mi-figues-sucrées, mi-raisins-serrés, je repars les mains pleines. Votre monnaie? Demain! Là haut le carillon résonne, il est l'heure de foncer!

Dans la pellicule, un trou brûle. Les belles images fondent acides sur la dalle refroidie. Dans ces incandescences, papillons de lumière, j'entrevois un ailleurs. Un espoir de douceur dans la toile, un pan de légèreté dans le voile. Dans l’ouverture, dolce vita.. 

La route n'est plus si longue. Essoufflée, j’ai coincé les vitesses, bloqué la chaîne... Le scopitone déraille, je dessine un vol plané au dessus du vélo. Me releveras-tu? -"Dis, pourquoi tu rêves?"- Parce que j'aime.. Je vais marcher un point c’est tout! J’ai mal au ventre, mon coeur flambe à contre jour, dans l’or de tes cheveux au vent.. ne peux, ni ne veux l'empêcher, mon esprit est toujours en vadrouille. 

Moi je voulais juste un croissant, des baisers, un enfant.. Demain, on verra bien.. 

Arrêtée, tête renversée dans l’aurore. Est-ce là le genre de cathédrales que nos mémoires érigent? Le ciel de tes yeux, entre les lucioles clignotant sur fond de beffroi, répand un baume sur les peines minérales. 

Assise sur le muret de grès rose, je délire, l’aube avance, défait les ombres violettes, un jaune de Naples irise les verrières en haut des toits, je lèche le sucre sur mes doigts, suce les derniers raisins. J’ai balancé le fond du sac en papier à la volée. Affamés, peu farouches, des moineaux en nuées se font la marelle, les miettes dans le gosier. 

Non loin à la surface de l’eau, la vie flotte à demi-mots câlins, sereine, qui attend qu’on s’embarque. -"Je serai toujours douce amère. C'est le jeu."- Le ciel est clair. Le soleil frétille dans les rayons du vélo.

Pour voir ce qui retombe, j’ai vidé mes poches comme on lance les dés, il en est sorti deux papiers pliés, couverts de soupirs. N'oublies-pas.. Quand le désir est là, élance-toi, enlace-le! Serai-je toujours en débit? L’amour n’est pas donné, précieux. Mais il s'apprivoise doucement.. Le train est parti. D'autres arrivent et je les prendrai tous.

Là sous la mousse, le souvenir enterré fait des bosses en forme de petits bonheurs. Belle anémone y pousse.

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