mercredi 21 octobre 2009

Marquise, fragile cathédrale.

























Ainsi que l’image appelle les mots, la réciproque est vraie.
De plus, tout objet fait image, relevant du processus qui mène à sa réalisation. Y poser le regard pour comprendre et définir..., si tel est l’objet de notre désir, alors c’est tout ce monde qu’il contient, qui peut reparaître à nouveau, libérant le mouvement qu'exige la création.

Petit si petit, semblant si fragile, blanc de nacre, usé, troué, incrusté de grains sombres, noircit par endroits seulement, je t’ai touché du pied, là dans le sable humide où j’avançais, laissant mes traces gourmandes, la peau léchée par la crête des vagues, sensuelles et versatiles.. A-demi enfoui dans cette étendue d’ocre-gris, où dansait une constellation de petites formes claires,... tu étais le point d’orgue de cet agencement.. Les algues poussées par l’eau comme en contrepoint linéaire et graphique pour parfaire le tableau..

La chair surprise, je posais mon regard sur toi, objet de mon émoi... coquillage ..tendis la main et t’ajoutais aux autres. Trésors d’une chasse toujours ouverte, collecte instinctive, réservoir de matières vives où puiser indéfiniment. C’était un geste réflexe, le verbe dans la phrase, soudé, l’eau que l’on boit pour étancher sa soif, sans y penser vraiment, et pourtant tout est là.

Ramasser, mettre à jour, redécouvrir... mais qu’en faire?

Voilà bien un support que l’on glane, même insouciant, à des fins autres que de conserver la seule trace du temps.. objet trouvé, petit trésor, tu es plus vaste que toi-même puisque se concentrent en toi la somme du moment, des sensations éprouvées, et ce, en nous, à quoi tu te relies invariablement, en le prolongeant, le désir de beauté..

Au-delà du visible, enveloppe privée de sa fonction, tu offres à la perception ta complexe nature, échappant à la réalité du moment présent. Large symbolique traversée par l’histoire et le temps dont le sens est enfoui, solidifié, additionné à ta matière, tu es légende, édification, modèle... Ponctuation de calcaire, tu es petit ouvrage, un pont cependant, lancé au travers des siècles, entre un lointain il y a longtemps et un maintenant si présent, englobant tant de vies.

C’est cet objet, comme tant d’autres, ramassé en présence de soi, à la surface des choses, qui ressemble à nos choix, devenant finalement support de la pensée, lieu de la réflexion, seuil de la création.

Carapace vide, organique structure reliant au souterrain où se tient l’origine des choses... Pourrait-on comprendre en observant l’objet, qui l’on est, la place que l’on occupe, même pour un court instant...?

Alors les mots surgissent pour définir. L’image survient, se pose.. Il y a des formes, des ombres, des creux, des trous.. le devant de la scène et les coulisses.. C’est la lumière qui définit tes contours et surfaces traduisant ton volume.. Tes glyphes sont l’écriture du temps et te parent de dentelles.. tu es la lune, la mort du soleil et le renouvellement... le blanc et le noir contenu, le tout plein, et le vide à remplir...

Mais non.....! Forts de la certitude goûtée quelques secondes, le sens à nouveau se dérobe, le cercle est révolu.. dans l’instant nous repartons.

Les mots, les images, les matériaux.. Oui, il en va ainsi des objets que l’on accumule, semblant tellement insignifiants parfois. La matière constitue soudain la chair des mots, le corps de la réflexion sur le désir de création, son impulsion enfin..

De la nature des choses, où le matériau que l’on choisit, est aussi celui dont on est fait. Le choisir encore nous nourrit par retour, c’est là que l’on transpose en création, que l’on s’enfante à nouveau, produit de la terre et de soi. Afin de saisir la vérité des choses et de la vie enfin, avant de la laisser s’échapper à nouveau. Mécanique du désir, moteur de la vie.

Nous sommes cette si petite chose, à l’élégance fragile, qui toujours se dérobe, cathédrale, silencieuse marquise, architecture percée de vues sur la mer et le sable, conçue par les assauts du temps, l’eau et le vent.. Petite dame sculptée, comme la figure emblématique d'une beauté transitoire, langage commun au monde..

Tu donnes à lire tes formes, révélant la durée écoulée, contraction du temps en un amas de matière, un éclat de lumière. Tu dis ce qui est faillible autant que ce qui naît, vit, et disparaît un jour, si volatile. Tu es encore là quand nous avons déjà disparu.

Ton image, moment différé de toi, est une réflexion sur ton identité, ainsi que sur la mienne.. Je te prends, te regarde, lentement, te fais rouler entre mes mains... Tes courbes, tes ombres portées, ta texture. Choisir de t’observer, de fixer ton image, c’est tenter d’atteindre à ton essence, la mienne peut-être, ainsi qu'au sens de toute chose.

Habitacle troué, tu dresses ta structure organique, à l’élégance soumise aux aléas des siècles, tu te fais grotte féconde pour un temps, doux berceau d’Aphrodite, et un jour tu te vides, resurgissant au regard, évoquant les eaux où tu te formes et son symbolique et fertile cortège, l’histoire du monde... ou l’aventure du vivant, une perle..

Quel que soit l’objet de la réflexion, et la nature de la création, c’est invariablement, dans la tension qui existe entre la douleur du manque, cruel, et les moyens de le contredire pour nous accomplir, que nous savons exister, entre un avant et un après, en n’égalant jamais le temps d’un coquillage...

1 commentaire:

Sébastien Goupillot a dit…

J'ai posé mon oreille contre tes mots et j'ai entendu le bruit des vagues...