jeudi 5 janvier 2012

"Il faut venger Icare" par Isabelle Pariente-Butterlin

"Vases communicants" / Janvier 2012

On ne peut pas noter les longueurs des phrases, leur tempo. 
C'est dommage. 
"La musique savante manque à notre désir", disait-il (je crois, je laisse ma mémoire errer, et souvent elle se trompe, c'est sa manière à elle de s'inventer et de réinventer de minuscules fragments de ce monde). 

Il faudrait des inspirations. Des élans. Du souffle. 
Respirer.
Je ne connais, du sens du mouvement, que celui de la chute. Comme tout le monde. 

Pourquoi, par quel hasard malheureux, par quelle malédiction, je n'en sais rien, je ne saurais pas le dire, ce texte n'est pas complet, il en manque des bribes, des fragments, pourquoi, c'est absurde, c'est si dommage, ne connaissons-nous, de l'envol, que la chute? 
La chute: fragment d'envol, seul à notre portée; contradiction sonore et trébuchante (staccato) qui nous rend à la pesanteur, sans nous accorder la grâce de l'envol. Comprendre: nous n'aurions jamais dû tenter d'échapper à la pesanteur.

Il y a bien quelques procédés (déloyaux). (Pizzicati)

On peut, par exemple, enregistrer le film de sa chute. 
Cela demande une installation un peu complexe, certes, quelques ajustements, des entassements de livres en édition papier, dans l'axe du couloir: ajuster sur la table, empiler, entasser, la Critique de la Raison Pure, et les tomes de la Pléiade de Proust, ce faisant, on a déjà gagné pas mal de hauteur, restent encore quelques ajustements verticaux, pour lesquels on choisira plutôt entre L'Éloge de la folie et un vieux Que sais-je?, ensuite déposer l'iPhone à la bonne hauteur, le caler comme on peut, mettre en marche, se tenir dans le champ, se viander en direct, opter pour la gamelle retentissante. Se vautrer. De belle manière.
Et puis visionner le film en arrière. 
Les choses s'arrangent peu à peu. On commence à plat. 
Vautré. 
On se relève. Mais non pas pesamment, en luttant de toutes ses forces non plutôt …

(Glissando)

avec une grâce toute nouvelle. Une grâce inespérée. Une grâce renouvelée. 

Je ne peux pas me souvenir, sans qu'un soupir s'échappe de moi, de cette statue d'Icare, vue au Louvre, une expo, un jour, il y a longtemps, dont il ne me reste que des bribes, sous le nom de Peter Greenaway. 
Icare à l'entrée, accueillant le flot, statue de marbre blanc, parfait, saisi au moment le plus cruel qui soit, au moment où sa joue touche le sol, dans ce qui aurait dû être une caresse et qui, un fragment de seconde plus tard, allait devenir un écrasement létal de son corps, de ses vertèbres dans la dislocation des corps. 

(Silence)

Il faut venger Icare. Le relever de toute pesanteur. Sentir, sur soi, le souffle de l'air et de la vitesse. Leurs caresses entremêlées dans les verticales ascendantes. Ivresse (des verticales ascendantes). Des pures verticales. Ivresse.



Aedificavit fut un des premiers blogs ajoutés à mon lecteur de flux. Assidue, je découvrais alors qu'il existait de belles choses dans les méandres du web. Un peu plus de temps après, ce fut "Au bord des mondes" que je me posais régulièrement, pour me rendre compte que les deux ne faisait qu'une, enchantée à nouveau. Alors je suis ravie d'accueillir aujourd'hui Isabelle Pariente-Butterlin pour cette édition de janvier 2012 des vases communicants. Elle a initié le mot à partager pour notre échange et lui ai emboîté le pas, ravie.. Ne vous en dis pas plus, à vous de découvrir. Elle est précise, élégante avec humour et brio, inventive comme j'adore. Un texte magnifique que je suis heureuse de partager avec vous.
  
« Le premier vendredi du mois, chacun écrit sur le blog d’un autre, à charge à chacun de préparer les  mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre. »

La liste de tous les vases de janvier est tout en dessous, 
aux bons soins de notre indispensable Brigitte Célerier
Un fleuve de mes mots "Au bord des mondes" d'Isabelle




Vases-Co de Janvier 2012
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samedi 6 août 2011

Mood of my day


Sleeping on The Ceiling - Lilian Hak from Taylor Hubbard on Vimeo.

Théâtre des vies, mêlant les scènes, où la coulisse domine, sans jamais se montrer. Deux visages, une comédie. Côté jardin, on se regarde parfois. Et puis l’on se détourne et fixe un autre point. - Ainsi, au plafond, lézarde une araignée, surveillant du coin de ses facettes, le coléoptère qui vient de se poser... - De sorte qu’on oublie. Ou bien qu’on a moins peur - ..Et la voilà hélitreuillée, la libellule. Vibrantes élytres, puis tout est noir.. - Est-ce le mal à l’oeuvre, ou simplement la vie ? Les âmes des uns ne seraient-elles que nourriture pour l’esprit affamé des autres, avides calculateurs, comment dit-on déjà...? La raison des loups a trouvé sa cité, ad vitam aeternam, ou si ce n’est que la mort l’interrompt..

À mesure que le jour avance, la vérité change à la course du soleil. J’entends encore la voix de ces prétendus maîtres. « Silence on tourne ! » La roue s’accélère, la magie opère, la comédie devient l’art de la vie, .. puis tout se fige, la vie elle-même se suspend, qu'on jette négligemment  en travers des décors désertés, et la magie s’éteint, dans une malle rangée, serrée. Epigones racornis, comme un vieux poumon séché libérant son dernier souffle.

Je m’incruste ou je m’extirpe? M’arrache et m’étrille le chant profond du vent qui ne s’apaise pas, labour, brocquart de velours, lacéré dans sa belle largeur. Il parcourt les rues vides, tantôt léger, tantôt poison, plomb liquide fondu aux vocales parois...


Et le grain joyeux de ta voix, encore à mi-tempes, même quand tu n’es plus là. Restent les masques grotesques au sourire figé, au fard épais qui s’effrite, et ne cache plus que du vide. Et si c’était juste le néant? 


Et toujours cette voix qui s’insinue, m’entoure et m’enveloppe, m’enrobe et m’emporte, et moi qui l'aime tant, m’écorche et me dévaste pourtant. 


Me voilà pleine de vide, plongée dans un bain où l’infinie tendresse tutoie le désarroi. Elle me connaît si bien: “Tu sais que l’amour file, facile, sur la ligne d’horizon, jongleur dansant et éphémère, sur l’arrête coupante entre Eden et Gouffre, il n’a de poids que lorsque tu le pièges dans ton filet comme papillon”. 

Et … à nouveau, cette voix qui se faufile, m’enserre, lancinante, réconfort et camisole. Hallucinée.

J’ai goûté ton nom, enfilé tes peurs comme un manteau trop lourd. Je flotte dans le souvenir, car c’est l’air que je respire, traversant les replis de mon âme grisée. As-tu laissé la tienne en chemin? Moi je dis qu’elle pèse si lourd que tu serais bien en peine de la soulever seul. Ritournelle leitmotive, parle-moi du feu, dis-moi où il siège, dis-moi d’où il vient, et surtout comment on le retrouve? 

Les yeux perdus dans un patchwork qui ressemble au chaos à force d’être dense, une vieille malle remplie à la hâte d’effets disparates et inutiles, je sens, cruel et douloureux, le fil de tes mots absents cousus sous ma peau. De ceux qu’on avale comme une bouchée de verre.

Je pensais à cette vie fantôme, cette autre vie. Est-ce la lune que tu voulais décrocher?, te voilà dans le caniveau. Qui est insecte affolé, écartelé entre deux pôles de néon? .. Décroche-moi ! Je voudrais .. tant, ne plus être cette entité transitoire entre deux néants. Je voudrais.. tant, valser légère au son de la vie qui court. Déplacée, dérivée, ombre mammifère au cerveau reptilien traversant les frontières à coup de pensée labyrinthique, à la recherche du coeur de l’homme que la vie coupe en deux. Bien ou mal, … point de vue obsolète.., il est rhizomes organisés, de greffes curieuses en solides hybridations. Je voudrais me hisser par ses racines, sortir de ma réserve, imprégnée des couleurs du Holi, me mêler aux déesses, croire, même pour quelques secondes, que j’en suis une aussi... Frôler les ailes de l’ange et redescendre enfin, sur le sol établi.. accueillie..

Imagine un écran, deux visages distants, superposés par la magie du cinéma, dans un même espace scénique devenu réalité. C’est un gros plan... Ils sont si proches que leur nez se frôle. Et puis c’est la fusion, deux sphères en collision, leurs visages s’entremêlent et sont joue contre joue, peau contre peau, doux, chaud.. Où est la vérité de l’instant, hors l’écran, sur la scène ? La vie n’est-elle pas une somme de désirs, de rêves et de sursauts, hoquets de réalité entremêlés? Faut-il qu’une scène soit pleine et consciente à demi, apprise, jouée, machinale et sans surprise, et puis enfin si consciente, qu’elle s’en trouve désertée? Faut-il qu’une porte soit ouverte ou fermée? De sentiments déguisés, en feintes de rigueur, peu discrètes mais tellement admises, quelle place encore pour ces délicatesses, quand les tendresses d’alors sont oubliées...

Assise en haut de la dune, hiératique, fausse madonne, les yeux distendus qui fouillent la terre à la recherche d’un bonheur, tout archéologique. Je me demande encore ...quel trésor, pour quel coeur? Tire-au-flanc, le ciel fait des ronds dans l’eau, pas d’effusions, juste une petite pluie de tendresse, douce et chaude comme une nuit d’été.. Et juste savourer..

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samedi 26 février 2011

L’artiste en l’atelier et les autres

Giacometti à l'oeuvre
J’ai souvent parlé de l’oeuvre d’art comme manifestation de l’art et de sa présence incontestable, donc son importance, dans nos vies. Ici, il parait essentiel d’approcher celui qui la produit: l’artiste. Est artiste celui qui s’engage par volonté dans un processus créatif.

On ne peut dissocier un artiste de son oeuvre et de sa pratique. Il y a donc peut-être une approche possible dans le fait de considérer les différentes natures de pratiques artistiques. Les artistes ne choisissent pas tous le même médium pour créer, car ce qu’ils recherchent, ce qu’ils souhaitent mettre à jour est différent, tout comme le sont, les contextes historique, culturel et géographique dans lesquels ils se trouvent. 

Je dirai plutôt qu’ils choisissent un médium en fonction d’affinités électives, et d’une “voie d’expression” vers laquelle ils ressentent la nécessité de se diriger: cela peut-être un ordre d’idée, des formes, une relation à la figuration ou non, donc au réel ou pas, (mais lequel?), à des références fortes comme des grands maîtres qui les auraient marqués, ou bien encore la passion d’une technique, dans le rapport matériel, corporel qu’ils entretiennent avec elle.. Il y a peut-être enfin, un message, ou encore un propos, qui les questionne, -non qu’ils souhaitent à tout prix le transmettre, ou qu’il soit pris en compte,- mais bien celui qu’ils cherchent eux-mêmes dans leur rapport au monde. Selon Herbert Read, “les valeurs fondamentales de l’art transcendent l’individu, son époque et sa condition. Elles expriment une proportion ou une harmonie idéale que l’artiste ne peut saisir qu’en vertu de sa faculté d’intuition. Pour exprimer son intuition, l’artiste utilisera les matériaux que place entre ses mains les conditions de son époque : à une certaine époque il griffonnera sur les parois de sa caverne, à une autre, il construira ou décorera un temple où une cathédrale, ou encore il peindra sur une toile pour un cercle limité de connaisseurs.”

Je pense avant tout à l’artiste dans son atelier. Celui qui créé par nécessité intérieure. Celle-ci voit le jour, quand il réalise que c’est plus qu’un mode d’expression, qu’il ne peut vivre sans, que c’est ainsi qu’il se définit; tôt ou tard, il y vient. Il crée seul, dans cet univers plus ou moins clos et qui lui ressemble, face à lui-même. Le médium étant aussi, cette matière grise et somme de désirs qu’elle représente et charrie avec elle. Il crée des oeuvres uniques, dans un rapport d’échelle proche de la mesure humaine. Et il entretient un rapport intime avec son oeuvre, celle-ci, inanimée, s’incarnant au cours de la réalisation, dans l’attention que l’artiste lui porte. Il y a dans cette gestation de l’oeuvre une part très humaine qui pourrait bien en évoquer une autre. Enfin cet environnement qu’est l’atelier, est ce réservoir constant qui le porte, tant par les images, références choisies, affichées, que par la somme mémorisée des expériences mises en oeuvres, et enfin le résultat de leurs expérimentations, voisinant les unes avec les autres, étant connu qu’il en mène souvent plusieurs de front.

Bien-sûr j’entends quelques voix s’élever..

Nombre d’artistes, depuis des décennies, et plus encore, créent des oeuvres qui dépassent largement l’échelle humaine. Dans ce cadre, pourtant, l’artiste, qui doit faire face à des problématiques de dimensions, donc de surfaces et de manipulation, mais encore de temps et d’argent, ne peut plus rester seul face à lui même. Il s’entoure de collaborateurs, voire, d’artisans ou d’ouvriers, et devient parfois simple concepteur, auquel une armée d’exécutants prête main-forte, et crée plus d’oeuvres dans l’année que celle-ci ne compte de jours. La création, défie, dépasse le temps qu’exige toute chose pour s’élaborer, se construire, escamotant le cheminement réflexif au profit de la confrontation et de la combinaison de volontés, de réponses et d’exécutions diverses. Il y a là comme une dépersonnalisation de l’art qui me semble éloigner le concepteur de la “qualité” d’artiste, de créateur.  Ne serait-ce pas une barrière érigée entre l’artiste et l’oeuvre, qui  de ce fait perdrait cette part importante permettant de reconnaître un artiste à son oeuvre : la facture? L’art acquiert alors le statut d’entreprise et entre par ses dimensions et son retentissement, dans le champ de l’industrialisation et de la spéculation. J’aborderai prochainement quelques unes de ces démarches singulières. Mais de l’atelier au hangar à paquebots, l’éventail est large.





On dit souvent du travail de l’artiste qu’il est une démarche, artistique, où il tente de créer un tout cohérent, d’une pièce à l’autre, en  accord avec lui-même. Il y a donc une connexion très forte entre l’artiste et son oeuvre. Celle-ci étant le prolongement de la pensée, de la perception et emblématique de la quête de l’artiste, avec tout ce que cela contient d’inconnues, pour l’artiste lui-même. L’oeuvre se mettant à vivre, apporte à l’artiste des informations qu’il utilise, pour celle-ci.. ou pour les oeuvres à venir.. comme si elle lui parlait. A l’artiste de savoir lui répondre. Quoi qu’il en soit tout ceci est incarné, charnel, matériel, humain. Et le choix du matériau correspond à l’idée qu’il se fait, non forcément de l’aspect de son oeuvre, mais peut-être de la capacité du matériau à répondre à ses attentes, de sa malléabilité, ou de ce que sa nature lui inspire, comme de sa propre adaptabilité au matériau.

Pour l’artiste en l’atelier, peu importe l’avis ou encore les appétences extérieures. Il ne cherche pas à priori, à mettre à jour l’oeuvre sous un aspect purement esthétique, dans le sens ou toute image, quelle que soit sa nature, doit être conçue pour ravir  les sens, le goût et l’esprit. Je précise que, si l’on définit communément l’esthétique comme ce qui est motivé par la perception et la sensation du beau, malgré ce fréquent glissement de sens, elle ne peut être réduite au beau lui-même, cherchant à savoir, au contraire, ce qui l’est. L’artiste, de la même façon, se situe dans un champ d’investigation au delà des critères esthétiques, où ceux-ci renverraient plutôt à la recherche d’un idéal, d’un absolu, référant à l’esthétique comme philosophie, cherchant à définir sa   propre acception de la beauté. 

Pour Herbert read, qui parle de l’art, comme de l’expression d’une faculté d’intuition,  «Le véritable artiste est indifférent aux matériaux et aux conditions qui lui sont imposées. Il accepte toutes les conditions tant qu’elles lui permettent d’exprimer sa volonté de donner forme. » Il reste que s’il existe une forme de séduction, elle appartient avant tout à l’artiste, toute intérieure, et pourrait prendre l’aspect d’une lumière dans l’obscurité, traçant un chemin... et peut-être que lorsqu’elle prend corps, nous aussi pouvons la voir...  

Marcel Duchamp, parlant du processus créatif, explique que, "selon toute apparences, l’artiste agit à la façon d’un être médiumnique qui, du labyrinthe par-delà le temps et l’espace, cherche son chemin vers une clairière." Encore faut-il que l’artiste décide d’atteindre ce quelque chose de l’ordre d'une harmonie, universelle, absolue. Ne serait elle pas nichée, dans la cohérence de l’oeuvre et de l’artiste avec lui même, celle-ci apparaissant au fil du temps comme une évidence? Où l’atelier est le creuset, où naissent et opèrent toutes les alchimies.

Qu’il s’agisse de sculpture ou de peinture, de dessin ou de gravure,.. l’artiste nourrit sa pratique, emplit son espace de travail qui le nourrit à son tour et c’est une imbrication étroite entre chaque étape du processus, qui le conduit de l’intention à la réalisation.

Mais le temps passe, l’artiste et ses pratiques évoluent, avec eux techniques et technologies, à la fois enrichissant et asséchant le propos, demandant qu’on le renouvelle, dans sa part universelle comme à l’échelle de l’individu. C’est là que de nouvelles icônes apparaissent, entraînant à leur suite une cascade de réactions. Et l’on voit apparaître de nouveaux genres créateurs qui remettent en question le statut d’artiste, créant de nouvelles vocations... 

 ©Flo Helmbacher


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